Au travail…rien ne va plus!

Ce blog est dédié au monde du travail ordinaire, tellement ordinaire, et parfois tellement dangereux !

Depuis quelques années, je démarre mes formations sur la gestion du temps et des priorités par la question suivante posée lors du premier tour de table : « combien de personnes faudrait-il pour accomplir votre travail ? » Je pose cette question quel que soit mon public, managers, non-cadres, infirmiers, administratifs ou opérationnels de terrain : c’est une toute petite question qui peut paraître anodine mais qui a toute son importance.
Quel que soit le niveau hiérarchique du stagiaire, sa réponse m’amènera très souvent à lui dire : « si vous êtes objectif, cela signifie que les problèmes de gestion du temps que vous pointez sont probablement structurels et non pas de votre seul ressort. »

Dans ces conditions, l’important devient de comprendre comment la personne va pouvoir reprendre la maîtrise de son équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, probablement en améliorant en partie son organisation , mais également en apprenant à dire non plus souvent sans avoir peur de perdre la face ni de paraître incompétent.

Bien sûr, il arrive assez régulièrement que sur une formation de 12 à 15 personnes, 4 ou 5 d’entre elles me répondent : « je n’ai besoin de personne de plus sur mon poste. Je pense que je manque d’organisation… je sais que je procrastine, surtout quand je fais des choses qui ne me font pas plaisir ». En fin de formation ces stagiaires repartent en mentionnant à quel point ils sont contents d’être à leur place et pas à celle des collègues dont ils ont entendu les histoires. Ceux qui souffrent le plus de surcharges de travail sont en général des personnes très investies qui cherchent par tous les moyens à faire mieux. Certains reviennent d’un burn-out, sont au bord du burn-out ou bien font partie d’un service où les collègues partent chacun à leur tour et « il faut bien faire leur travail quand même ! » A ceux-là, je peux enseigner la notion de compromis réaliste traduite par : « non, je ne peux pas aujourd’hui, pas maintenant… » Mais souvent, ils répondent que cette stratégie est inapplicable pour eux : « je n’ai pas le droit. Cela ne se fait pas, qu’est-ce qu’on va penser de moi, … »

Et pourtant, très cyniquement, il est évident qu’une reprise même minime du contrôle de son temps de travail est utile pour améliorer…. sa performance au travail !

Voici maintenant une conversation dont vous avez forcément été l’un ou l’autre des protagonistes : « je suis crevé, j’en peux plus !!! Je n’arrive plus à terminer quoi que ce soit. Il y a toujours autre chose, ce n’est jamais fini. Je deviens incompétent. Je ne sais plus rien faire. J’arrive avec la boule au ventre. Je pars de plus en plus tard et j’emmène plein de travail à la maison, mais ça ne sert à rien. Je ne dors plus. Le petit vélo ne s’arrête plus dans ma tête. J’en peux plus. » « Mais enfin, cela n’a pas de sens ! Tu t’es vu ? Je te connais depuis 20 ans et je ne t’ai jamais vu dans un état pareil, même quand tu as été gravement malade… ou bien si, quand tu as été gravement malade, justement. Quand vas-tu t’arrêter ? » « Je ne vois pas grandir mes enfants. Ma femme s’éloigne de plus en plus de moi. Au début, elle était solidaire et elle me plaignait. Mais là, elle est devenue méchante et égoïste. Elle ne voit pas que je souffre de plus en plus. Elle veut juste que je sois avec elle et que nous fassions des choses ensemble. Mais je ne peux pas moi. Elle devrait comprendre ! » « Et ça va s’arrêter quand ? Tu ne vois pas que tu vas dans le mur ? » « Ben si, je vois… mais je ne peux pas m’arrêter. Impossible. J’irai dans le mur et puis je verrai… »

Cette conversation, je l’ai avec des amis, avec des membres de ma famille, et aussi à chaque incursion que je fais dans le monde du travail ordinaire, en tant que coach ou formatrice. Très souvent, j’ai l’impression de découvrir des horreurs. Un peu comme si je visitais des salles de torture encore en service dans des lieux a priori tout à fait respectables : entreprises de toutes tailles, hôpitaux, associations… que les gens soient en CDD ou en CDI ou bien encore fonctionnaires. J’emploie des mots forts… mais ce qui se passe est très grave.

Parce que ce qui se dessine de ces structures à travers les histoires de mes stagiaires par exemple, c’est de la détresse, de vrais chemins de croix, voire des abandons de soi, dans le mauvais sens du terme.

Cela peut être : « je sens que ça ne va plus. Je pense tout le temps à mon travail, je ne parviens plus à décrocher ».

Ou bien : « d’ailleurs, je déteste prendre mes vacances de cette horrible boule au ventre qui m’empêche de vivre une fois qu’elle est installée. J’ai tellement peur de retourner au travail ! »

Et, à l’extrême, mais je n’invente rien : « j’ai tout donné. J’ai fait des heures et des heures. C’est normal, je suis cadre. J’ai laissé tomber ma vie de famille et tout ce qui n’était pas le travail. Tout cela pour m’entendre dire que je n’en faisais pas assez et que mes résultats de cette année étaient au-dessous de tout. J’ai craqué. Je me suis retrouvé chez le psychiatre. Qui m’a prescrit des cachets. Je les ai pris… tous à la fois, et puis je suis monté dans la voiture et j’ai foncé dans un arbre. Ma femme ? Mes enfants ? Ils n’existaient plus à ce moment-là… J’étais dans l’instant, dans l’action que je ne pouvais pas éviter de faire. »

C’est pour cela que j’ai sous-titré mon article : « Karōshi ou suicide ? »
Voici une définition de ce mot qui vous est peut-être inconnu : Karōshi (過労死
), littéralement « mort par sur-travail ») désigne la mort subite de cadres ou d'employés de bureau par arrêt cardiaque par suite d'une charge de travail ou d'un stress trop important. Le karōshi est reconnu comme une maladie professionnelle au Japon depuis les années 1970. (définition wikipédia)

Alors…
M’arrêter tout seul ? Tirer la sonnette d’alarme de manière à ce qu’elle soit entendable et entendue ?
Ou bien attendre que le mur me tombe sur la tête et me détruise ? J’en ressortirai peut-être, ou pas.
 

Et si j’en ressors, très souvent, je ne suis plus le ou la même. J’ai compris qu’il ne sert à rien de vouloir tout porter sur mes épaules. Que quand le problème est structurel, moi, je ne peux rien y changer, sauf à faire de mon mieux dans le cadre de mes responsabilités. Que je sois manager ou pas, je ne suis pas un surhomme ni une sur-femme… Alors, ce que j’ai de mieux à faire, c’est d’être une personne à part entière, travailler au maximum de mes capacités et de mes compétences pendant mon temps de travail (sans exagérer ce temps) et vivre au maximum en dehors de ce temps de travail.
 

Ce qui est intéressant, c’est que la société ou bien l’équipe dans laquelle travaille la « nouvelle » personne ne s’écroule pas pour autant. Bien au contraire !
 

Or, nous savons tous qu’il est très difficile de prendre seul la décision de tourner le dos au mur et de s’en éloigner, un peu comme dans une situation de harcèlement où le harcelé se retrouve dans une spirale infernale, incapable de demander de l’aide. D’après mon expérience, une aide extérieure peut permettre de mettre des mots sur ce qui se passe pour ne pas littéralement « devenir fou ».

Je serais intéressée de connaître vos expériences, surtout celles qui se sont bien terminées !
Au plaisir de vous lire.

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Au sujet du coaching individuel